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“On ne sort pas de “The Riot Club” en se disant que le monde tourne rond”, Lone Scherfig réalisatrice

Si son drame débute comme une comédie, c’est pour mieux souligner la violence de la société de classe britannique. La réalisatrice danoise Lone Scherfig, adepte du Dogme 95, espère éveiller les consciences. Rencontre.

Archi sélect, archi huppés, ils n'en sont pas moins des repères de vandales. dans The Riot Club de Lone Scherfig. les cercles regroupant les riches étudiants des universités britanniques en prennent pour leur grade. Presque entièrement situé à Oxford, le film s'inspire du fameux Bullingdon Club, qui y fut créé il y a plus de deux cents ans et comptait parmi ces membres, il y a bien moins longtemps, le premier ministre David Cameron, alors étudiant.

Adapté d'une pièce de théâtre (Posh de Laura Wade) et interprété par de jeunes comédiens charmeurs (en tête, Max Irons. le fils de Jérémie), The Riot Club flirte avec l'univers des films d'ados pour mieux faire éclater une violence brute, remuante.

Une réussite pour Lone Scherfig, dont on avait bien aimé Italian for beginners (2000), un film réalisé selon les règles du Dogme, le célèbre manifeste esthétique de Lars von Trier et Thomas Vinterberg (la caméra doit être tenue à la main, le son ne doit pas être produit indépendamment de l'image, etc.), et Une éducation (2009). Entre Europe et Etats-Unis (où elle tourna Un jour en 2011), cette Danoise défend avec réalisme un cinéma aux qualités artistiques et commerciales. Rencontre à Paris.

La violence des jeunes Anglais de bonne famille existe-t-elle vraiment telle que vous la montrez dans The Riot Club ?
C'est un film qui reflète la réalité. Parfois de façon plus terrible qu'elle n'est, parfois de façon plus douce. J'ai fait un effort pour que tout soit authentique. Je ne voulais pas que les conservateurs puissent rejeter ce que je montre comme si c'était un pur mensonge. J'ai essayé d'avoir un point de vue que tout le monde serait obligé de prendre en compte. Je connaissais déjà la haute société anglaise mais j'ai rencontré des jeunes gens qui en font partie, spécialement pour préparer ce film.

C'est un monde fascinant car ces jeunes gens sont souvent brillants et drôles, mais c'est un monde de pouvoir comme on en voit rarement. Il y a plus de milliardaires à Londres que dans n'importe quelle autre ville au monde. C'est vraiment une société de classes au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. J'ai volontairement rendu le début de de mon film assez léger, de façon à ne pas rendre l'histoire prévisible, mais je voulais plus de vérité. On ne sort pas de The Riot Club en se disant que le monde tourne rond.

“En Grande-Bretagne, des politiciens ont critiqué mon film avant même de l’avoir vu !”

Le fait d’être danoise vous a-t-il aidé à regarder en face cette réalité peu montrée ?
Si j'avais été anglaise, j'aurais peut-être eu une véritable haine pour ces classes supérieures. Ou je n'aurais pas voulu aborder ce sujet qui est très polémique en Grande-Bretagne. C'est difficile de dire ce qu'aurait été ce film s'il avait été réalisé par Mike Leigh. Ken Loach ou Paul Greengrass. Je suis contente d'avoir pu le tourner. Et je ne me suis pas placée en observatrice étrangère.

Le club que je montre a dix membres. je voulais que le spectateur soit le onzième, qu'il puisse être avec les autres au point de ne plus les voir de l'extérieur. Dans la plupart de mes autres films, l'intrigue principale est une histoire d'amour. Je voulais cette fois faire quelque chose qui ait plus d'impact sur le plan de la société et sur le plan politique. Ça semble avoir abouti car, en Grande-Bretagne, des politiciens ont critiqué mon film avant même de l'avoir vu.

Avez-vous l’ambition, avec ce film, de faire fermer les clubs d’étudiants dans les universités comme Oxford ?
C'est difficile d'avoir l'ambition de changer la société avec un film, mais d'un autre côté, l'histoire montre que des films ont pu éveiller les consciences et faire avancer les choses. Mon film dit en tout cas qu'on peut refuser d'entrer dans ce genre de club. Et c'est sans doute la meilleure façon de changer les choses, car ces clubs ont une très longue histoire, ils sont le fruit d'une vieille tradition qui sera toujours protégée.

Oxford est une université où le système des bourses est bien développé, cela permet à des jeunes de l'extérieur d'y venir, mais ça reste une société très fermée. Les jeunes gens dont parle mon film se marient souvent dans le milieu social dont ils sont issus. Ils ont des petites amies très librement pendant leurs études mais il y a toujours une « Mademoiselle untel » qui attend son tour et vient d'une très bonne famille.

“Ce que j’ai appris avec le Dogme ne m’a jamais quittée”

La partie dramatique de The Riot Club donne le sentiment que vous avez utilisé sur ce film votre expérience de réalisatrice adepte du Dogme…
Je le fais toujours, ce que j'ai appris avec le Dogme ne m'a jamais quittée. Quand je tourne, j'y reviens même plusieurs fois par jour, je me dis. quelle serait la réponse du Dogme à cette question de mise en scène. J'ai été formée de façon classique dans une école de cinéma mais j'ai aussi été formée à l'école du Dogme.

Je viens de tourner une série télé pour ABC, qui est la plus traditionnelle des chaînes commerciales américaines, et je sais qu'en m'engageant, ils attendaient quelque chose de plus imprévisible. Ça reste une énorme machinerie de production qu'il n'est pas facile de faire bouger mais même sur un tournage comme celui-là, j'ai pensé qu'il pouvait y avoir une solution Dogme à tous les problèmes de réalisation que je rencontrerais. C'est formidable de voir comme ça peut m'aider encore.

Lone Scherfig sur le tournage de "The Riot Club".

Photo: Blueprint Pictures / DR

Le Dogme a donc une vie après sa mort ?
Je pourrais refaire un film Dogme. Si j'avais la bonne histoire, je le ferais. Et je le ferai, j'en suis sûre. Mais c'est vrai que les principes du Dogme. qui avaient été édictés en 1995, n'ont plus la même force aujourd'hui dans leur opposition au cinéma traditionnel, parce que la manière de faire des films a changé. Même les films de Lars von Trier ont changé. Ils sont de plus en plus stylisés. Il va presque dans une direction opposée à celle du Dogme, mais il en retient malgré tout certains éléments.

Qu’avez-vous pensé de l’interview qu’il a donnée en novembre au quotidien danois Politiken. dans laquelle il parlait de ses problèmes de toxicomanie ?
C'était très intéressant. Je crois que Lars von Trier a retrouvé la capacité de parler, de communiquer, en allant à des réunions des Alcooliques anonymes. C'est bon de le voir revenir dans la réalité, c'est le signe qu'il va mieux et c'est rassurant. Car il allait vraiment très mal. Il travaille sur une série télé maintenant, The House that Jack built. Je ne sais pas ce que c'est mais je sais qu'il est toujours capable de faire des films qui sont à chaque fois des œuvres uniques et précieuses.

“J’ai l’impression que les cinéastes d’aujourd’hui travaillent dans un esprit de compétition terrible”

Il apparaît aujourd’hui comme un solitaire mais avec le Dogme, il avait lancé un mouvement où l’esprit de groupe comptait beaucoup.
C'est très important. J'ai récemment créé une structure de production avec quatre autres cinéastes danois. chacun réalisera ses propres projets mais ce sera un effort collectif, il y aura aussi à partager, à échanger. Parfois, j'ai l'impression que les cinéastes d'aujourd'hui travaillent dans un esprit de compétition terrible. C'est aussi le système qui les pousse à cela. J'ai visité l'exposition Truffaut à la Cinémathèque, à Paris, et j'y ai vu justement le contraire. l'importance pour lui d'avoir pu constituer un groupe avec les autres cinéastes de la Nouvelle Vague. Il n'y a pas eu tant de communautés de cinéma. Le Dogme en était une, d'ailleurs très inspirée par la Nouvelle Vague.

Vous aimez le cinéma de Truffaut ?
Beaucoup, et depuis longtemps. Truffaut est mort l'année où j'ai terminé mes études à l'école de cinéma, en 1984. Je connaissais ses films, j'avais suivi son travail pendant mes années à l'université. J'aimais son amour du cinéma, j'aimais, dans ses films, l'attention pour les personnages, une forme d'amour pour les gens, sa façon de rendre les choses de la vie fortes, son humour sous-jacent aussi et le fait que ses films n'étaient pas prétentieux. Ce n'étaient pas ceux d'un intellectuel, même s'il en était un.

Vous avez tourné des films dans le système américain et en Europe. On imagine que votre liberté a été plus grande en Europe. C’est votre avis aussi ?
D'abord, je dois dire que la France est un havre pour le cinéma. C'est un pays où les metteurs en scène sont respectés. Et, pour cela, c'est un pays de plus en plus unique en son genre aujourd'hui. Aux Etats-Unis, des contraintes existent. Il faut, par exemple, tourner de façon à ce que tous les dialogues prononcés soient articulés face à la caméra. Il faut aussi que le film puisse être montré dans les avions. Les personnages n'ont pas le droit de fumer, ils n'ont pas le droit de boire directement à la bouteille. C'était comme ça en tout cas quand j'ai tourné Un jour. Il y a plein de petites interdictions qui ne relèvent pas vraiment d'une censure mais qui compliquent le travail. C'est pour cela que j'aime travailler en Europe.

Bande-annonce du film "Un Jour", de Lone Scherfig.

Je vais faire un film qui sera tourné en anglais à New York mais produit au Danemark. Je veux essayer d'importer le meilleur de la tradition du cinéma d'auteur aux Etats-Unis en réalisant ce film là-bas avec une manière européenne de penser. Ce sera comme un cheval de Troie. Aux Etats-Unis, il y a trop de contrôle, trop de gens qui ont peur de perdre leur job ou de ne pas gagner assez d'argent. Il faut dire aussi que c'est devenu un privilège, pour les cinéastes européens, de pouvoir continuer à faire des films sans nécessairement leur donner un genre. En terme de marketing en tout cas. The Riot Club commence comme une comédie et devient ensuite très dur, le genre n'est pas établi. Laura Wade, qui a écrit la pièce, dit que c'est un film de vampires !